Bonjour à toutes et à tous, les amis, les curieux, les artistes, les voisins, les visiteurs d'un jour ou d'une vie,
En septembre 2019 et suite à une réflexion entamée il y a plus d’un an, nous
avions titré notre saison « Comment on fait pour demain ? ». Nous ignorions que
cela serait aussi prémonitoire.
Voilà maintenant 10 semaines que le temps, l’espace et l’histoire que nous avons
en partage sont suspendus. 10 semaines avant de vous écrire, 10 semaines c’est à
la fois beaucoup et très peu car nous sommes si proches qu’il nous est impossible
de vous oublier. 10 semaines donc avant de vous redire notre profond
attachement à nos conversations, à nos projets, à vos regards, à toutes ces
intentions et autres attentions qui font du Zeppelin un lieu si particulier,
organique, ouvert aux corps, aux cœurs et à l’esprit.
Le moment est donc venu pour nous de vous livrer nos sensations. Sans occulter
les aspects dramatiques de cette crise sanitaire, nous vivons ce contretemps
comme précieux pour continuer à inscrire Le Zeppelin dans la dynamique des lieux
d’art du 21ème siècle à laquelle nous aspirons.
Il nous semble impensable de ne pas profiter de cette période pour nous affranchir
de la fatalité d’une société qui ruine notre capacité à faire monde et pour dessiner
des lendemains qui feront poésie de la vie. Cette suspension nous offre donc une
occasion unique de reprendre notre souffle et de regarder au plus près nos rêves
d’humanité.
Pendant ces 10 semaines, Béatrice Doyen et moi-même n’avons cessé de repenser,
de discuter de cette question qui nous habite depuis plus d’un an
maintenant : « Comment on fait pour demain ? ». Et si ce diable de virus est venu
se mêler à notre préoccupation, il n’a fait que renforcer notre détermination à
imaginer une suite nouvelle au voyage dans lequel nous vous embarquons depuis
près de 10 ans maintenant.
Dans notre dernier édito qui présentait la saison Z 0.1 nous vous exprimions notre
besoin de nous écarter de la ligne avec un brin de folie pour garder la raison. Le
COVID-19 nous a projetés, non sans brutalité, dans cette réalité. Et c’est avec la
chair de nos désirs mise à vif que nous nous sommes retrouvés dans un temps que
nous avions rattrapé, parce qu’un 16 mars 2020 il s’est arrêté. Mais quand le temps s’arrête, il cogne d’abord et vous laisse sonné sur le ring de
votre vie souvent déjà tellement programmée. Nous sommes donc restés quelques
jours, quelques semaines groggy d’une réalité qui avait aussi contaminé nos rêves
fugitifs.
Rapidement cependant, nous savions que nous ne voulions pas participer à
l’animation voire à l’agitation 2.0 qui a saisi notamment la communauté culturelle
et artistique. Il nous semblait en effet impossible d’écouter la profondeur de ce
souffle venu de nulle part et d’ouvrir la voie à nos réflexions en numérisant notre
rapport à ce qui nous est encore et toujours précieux : faire humanité. L’humanité
qui se propage par les corps et les mots, qui espère le baiser et la main, qui se
murmure au creux de l’oreille, qui inonde de larmes le cœur et qui sait encore
s’émouvoir. Cette humanité-là souffre du bavardage narcissique et des faux-semblants.
Cette humanité-là se nourrit du « vouloir donner » plutôt que du « pouvoir
acheter », elle distille le plaisir de se rencontrer, de se rassembler et de
reconnaître dans chaque autre le privilège d’être soi-même au monde. C’est
humanité-là nous est chère.
Nous avons donc pensé, échangé, imaginé ce qui pouvait enfin se dire dans le
silence d’un temps retrouvé. Jours après jours, semaines après semaines, nous
avons ainsi nommé nos envies, nos doutes, nos satisfactions, nos regrets et
surtout nos espoirs qui sont les phares qui accompagneront cette longue, difficile
et pourtant passionnante traversée.
Alors oui, effectivement et plus que jamais, Le Zeppelin sera le territoire de notre
insurrection contre celles et ceux qui défendent une société individualiste,
capitaliste, repliée sur elle-même et qui refusent de s’émanciper des canons
politiques, économiques, éducatifs et culturels d’un autre temps. Notre exigence
restera notre insoumission, nos libertés seront toujours nos seules barricades,
notre air sera encore celui des artistes et du public, notre espoir restera que
l’Institution comprenne que le monde a changé et qu’une politique ne vaut que
lorsqu’elle est capable d’émanciper.
Nous allons devoir agir durablement pour que le grand incendie n’ait pas lieu et
que nos rêves ne se dispersent pas dans les cendres de nos insomnies.
L’art est la clef de voûte de notre projet pour vous. Il est l’indispensable souffle
qui met du vent dans les voiles de la culture. L’art enrichit notre capacité à
entendre, à comprendre et à transformer ce qui nous donne la liberté d’être
« homme parmi les hommes, riche de même et de même pauvre ». Il est
nécessaire de lever l’ancre, de quitter les mers mortes et d’ouvrir les yeux sur un
nouveau monde, et que soufflent les vents de l’art et de la création ! Ce voyage,
nous voulons le faire avec vous et pour vous.
Passionnés par les hommes, nous vous emmènerons sur les chemins de la création
que nous devrons probablement défricher dans cette nouvelle ère. L’acte même de
création est un acte de médiation et d’échange privilégié qui offre aux artistes et
aux publics la possibilité d’un dialogue souvent nouveau qui élargit les champs de
compréhension et de savoir des uns et des autres.
En tant qu’artiste je continuerai à ouvrir des espaces de conversation pour que
nous puissions nous écouter, nous raconter, nous entendre et nous dire. Nous
développerons et imaginerons s’il le faut, des formes d’art qui préservent de la
sclérose du sens et qui sont dans le temps de la vie, qui se tissent au-delà des
réseaux et qui s’affranchissent des communautés et des peurs. Un Art de vivre
dans un lieu d’expression et d’expérimentation artistique et citoyenne qui nous
rassemble pour lever le rideau sur de nouvelles utopies.
Vous êtes attendus.
Pierre Foviau